Il était une fois, Marcel...
Mardi 21 juin 2011, première rencontre avec Marcel, bébé chevreuil de deux semaines. Ce sont les adoptants de Dague et Tulipa qui l’élèvent au biberon depuis sa naissance. Un chien le leur a ramené, il ne l’avait pas blessé mais ce petit bébé avait encore les sabots mous et il était impossible de retrouver sa mère. Les premiers jours furent difficiles, nourri à la seringue avec du lait pour chevreau, il n’était pas très vaillant... Mais Sébastien et Albanie ont fait du super travail et à deux semaines, Marcel était un bébé en pleine forme ! Tellement en forme, qu’il commence à vouloir découvrir le monde, mais il ne peut pas se dépenser comme il le faudrait car Sébastien et Albanie n’ont pas de terrain attenant. Ils nous demandent donc si l’on peut récupérer Marcel. On accepte sans hésiter, c’est un bébé tellement mignon...
Séparation difficile pour Marcel comme pour ses deux parents adoptifs, mais le jeudi 23 juin, le voici qui arrive à la maison, tout perdu. Les deux premiers jours il cherche Albanie et Sébastien, il les appelle beaucoup, mais il finit par s’habituer à nous. Le petit faon a des biberons à 45° toutes les 4 heures, la nuit il dort à côté de mon lit et il ne fait pas un bruit, il attend juste que me lève pour à son tour se mettre debout. Je deviens très vite sa nouvelle maman, il me suit partout, pleure quand je quitte une pièce, rouspète quand je mets trop de temps à préparer son biberon, demande à sortir etc etc... On lui installe son coin avec des alèses car il n’a pas de notion de propreté, c’est un animal sauvage avant tout ! Marcel est très sociable, il n’a peur d’aucun animal, chiens, chats, poules, lapins, brebis... Pour lui tout cela est normal, la cohabitation se passe très bien, Forever, le chien, adore le lécher et le surveiller, Kebab et Merguez, les deux brebis, ont peur de lui et partent en courant dès qu’il les approche, il joue beaucoup avec Io, ils font la course dans le pré...!
Néanmoins la question du voisinage se pose, ici il y a beaucoup de chasseurs, et tout le monde sait qu’il est strictement interdit de détenir un animal sauvage chez soi, même dans le cadre d’un sauvetage. Alors pour le sortir dans le champ, on fait très attention, mais ce n’est pas toujours facile, car petit Marcel court vite quand il le souhaite, et les bonds qu’il fait dans le pré ne trompent personne...
On se met à la recherche d’un centre spécialisé dans les animaux sauvages qui pourrait l’accueillir, malheureusement nous avons beaucoup de mal à en trouver, la plupart ne récupèrent que les oiseaux ou les petits mammifères, très peu ont les structures adaptées aux chevreuils, surtout pour les mâles. De plus nous avons énormément de mauvais échos de centres qui euthanasient les bébés car ils ne peuvent pas les biberonner, une personne nous explique qu’elle aussi avait sauvé un chevreuil et qu’il était tellement sociable, que le centre avait souhaité le mettre chez Disneyland ! Ce ne sont que des on-dit, mais ça nous laisse perplexe, et nous tenons beaucoup à Marcel, ce sera déjà très difficile de le laisser partir, alors nous ne souhaitons que le meilleur pour lui.
Enfin, pendant un mois, la vie de Marcel nous a apporté beaucoup de joie, de fatigue aussi car il demandait une attention constante. Et pendant un mois, il s’en est passé des choses!
Quelques anecdotes:
Quand Marcel veut jouer il est mignon comme tout, il bondit dans tous les sens, on fait la course avec lui, il fait le foufou puis s’arrête quand il est fatigué. Lorsque je vais téléphoner sur mon lit, il saute dessus pour rester près de moi, il est très agile ! Parfois il glisse sur le parquet, dans la maison nous avons une petite pente, pour la prendre il glisse avec les pattes de devant comme s’il faisait du ski, ça nous fait beaucoup rire. Bambi sur la glace !
Quand c’est l’heure du biberon, Marcel le fait savoir, il piaille doucement, se lève et attend debout près de moi jusqu’à ce que je lui prépare, et quand je suis en train de le faire, alors là il est déchaîné, un vrai petit affamé ! Je lui donne le biberon, et parfois il n’en veut finalement pas beaucoup, peut être que c’était juste pour avoir le goût ou pour se rassurer... Toujours est-il qu’il vient de gaspiller un biberon entier pour rien, petit coquin ! Par contre quand il a vraiment faim, alors là le biberon ne fait pas long feu, et il faut faire quelques pauses car Marcel boit trop vite et après il a le hoquet, vers la fin il appuie ses gencives contre la tétine chaude et reste comme ça un petit moment, peut être que ses dents poussent et lui font mal ? Il a une langue toute douce et il adore lécher l’objectif de l’appareil photo. Quand on le sort, il s’entraîne à manger de l’herbe, au début il avait beaucoup de mal et ne faisait que les mâchouiller sur place, sans arriver à les brouter, mais au fur et à mesure, avec une technique très sûre il arrive à arracher les fleurs des trèfles et il en raffole ! Il y a tant de choses à dire sur ce petit bout de vie, il a un poil très doux, quand il fait pipi ça dure au moins cinq vraies minutes, il s’est trouvé un petit abri dans le champ, il se met sous les palettes à l’ombre et le voilà parti pour une grande sieste... Bref, il m’est impossible de tout raconter, il nous en a tellement fait !
Marcel à côté de mon lit la nuit:
Mais bon ce qui doit arriver, arriva, nous trouvons un super centre pour Marcel, dans les Hautes Alpes, comme ça fait loin... Je sais qu’il sera plus heureux là bas, il pourra enfin voir des chevreuils comme lui, jouer avec eux, et mener une vraie vie avec des hectares de forêt rien que pour lui. Nous nous renseignons, c’est un centre spécialisé pour les chevreuils accidentés ou élevés par la main de l'homme... Donc ils vont le sevrer, ensuite ils le mettront dans un grand parc avec d'autres chevreuils de son âge, et pendant un an il ne verra plus l'homme. Ils surveillent les animaux tous les jours aux jumelles, si il y en a un qui est malade ou blessé, ils l'endorment au fusil, le soignent et le remettent dans son parc, tout ça sans qu'ils voient l'homme (sauf soins constants...). Et dans un an, s’il est prêt, il rejoindra la vie sauvage, la vraie de vraie dans les montagnes des Hautes-Alpes.
La séparation est très dure, pendant plus d’un mois, je l’ai chouchouté comme un bébé, nuit et jour, parfois à deux heures du matin il avait peur, et sautait dans mon lit pour se rassurer... C’est sans aucun doute une des choses les plus difficiles que j’ai eu à accomplir cette année. J’avais envisagé toutes les possibilités pour le garder, mais il y à un moment où il ne faut pas être égoïste et où l’on se dit que si on l’aime vraiment, on le laisse partir pour une vie meilleure, pour la vie qu’il aurait toujours du avoir.
Alors le 24 juillet, je l’ai laissé partir, Sébastien, son premier papa d’adoption, l’a emmené au centre dans les Hautes-Alpes. J’ai pris Marcel dans mes bras, je lui ai fait un énorme câlin, rempli d’amour et de tendresse, je lui ai dit qu’il serait le plus fort de tous les chevreuils du monde, qu’il vivrait très vieux, que je n’oublierai jamais toute cette fantastique aventure qu’on avait vécu ensemble, et que je l’aimais. Puis je suis partie, je ne voulais pas être là au moment où Sébastien allait l’emmener. La dernière image que j’ai de lui, c’est qu’il est debout sur le tapis et qu’il me regarde partir, sûrement en se disant que je vais seulement voir les chevaux et que je reviens dans quelques minutes. Mais non, c’était la dernière fois de ma vie que le voyais.
Il m’a fallut un long moment avant de pouvoir écrire ce texte sans pleurer tout le long, il m’a aussi fallut un moment pour regarder les vidéos et les photos où il est devant la maison, si fragile, si innocent, insouciant, en train de gambader, pensant que c’est ça la vie d’un chevreuil... Parfois j’entends son petit piaillement, mais ce n’est rien d’autre que mon imagination, souvent le soir quand je me couche, je regarde l’endroit où il était installé...
C’était une très belle aventure, j’ai passé des instants magnifiques avec mon petit Marcel, des heures magiques où je ne faisais que le regarder, ses grand yeux, ses grand cils, ses longues oreilles, la finesse de ses pattes, si frêles au début, puis si agiles ensuite. Je suis heureuse d’avoir vécu tout ça, je sais que là où il est, il est heureux et bien, et si un jour dans quelques années je passe dans les montagnes des Hautes-Alpes, je scruterai les bois pour voir si tu es là, Marcel.